Message du P. Arturo Sosa, Supérieur général des jésuites à l’occasion du rassemblement « Au Large Avec Ignace »

A l’occasion du rassemblement de la famille ignatienne « Au Large avec Ignace », à Marseille, le P. Arturo Sosa, Supérieur général de la Compagnie de Jésus, a adressé un message aux participants. Un message lu par le P. Antoine Kerhuel sj, Secrétaire de la Compagnie. Joie de se retrouver en « famille » et volonté de s’engager aux côtés de Dieu dans ce monde marqué par la pandémie et une Eglise blessée par la crise des abus sexuels commis en son sein.

Chères amies, chers amis,

Chers compagnons jésuites,

Je suis heureux de pouvoir partager ces journées parmi vous à Marseille. Je suis témoin de votre joie de vous retrouver « en famille », membres de la CVX, religieuses ignatiennes, membres du MEJ et d’autres mouvements et communautés, amis de la famille ignatienne, jeunes des institutions éducatives et compagnons jésuites… bref, la grande et riche famille ignatienne. Je partage pleinement cette joie.

Ce sentiment de joie est décuplé, je crois, après les nombreuses frustrations des 18 derniers mois : combien de rencontres ont été manquées ou rendues impossibles par la pandémie ! Les échanges par skype, whatsapp ou zoom ont été précieux, mais ils ne suffisent pas à satisfaire notre désir de « faire corps », tous ensemble. Rien ne peut remplacer le fait d’être ensemble, d’apprendre à nous connaître et d’expérimenter ce que signifie tisser des relations, tout en étant très différents et cependant capables de nous unir.

Je suis admiratif devant l’audace dont la famille ignatienne a fait preuve en organisant une telle rencontre en pleine pandémie, au milieu de mesures sanitaires strictes, y compris le confinement. Il est également impressionnant que vous soyez si nombreux à avoir osé vous mettre en route pour venir jusqu’à Marseille, alors que les risques sanitaires persistent. Cela illustre sans doute l’importance pour chacune et chacun d’entre vous de participer activement à cette famille ignatienne.

À cela s’ajoute le fait que la ville de Marseille incarne le désir du Pape François de devenir une « Église en sortie », une Église ouverte sur le monde, une Église en dialogue avec les autres religions, et philosophies… qui comprend et vit la diversité culturelle comme une richesse humaine.

Nous qui participons à cette belle rencontre, nous illustrons bien cette riche variété. Il suffit de regarder autour de nous pour percevoir cette richesse. Pourtant, nous avons quelque chose en commun qui nous identifie et nous rassemble en tant que groupe : nous avons été inspirés par l’expérience spirituelle d’Ignace de Loyola qui nous a conduits à chercher, trouver et choisir une vie qui soit conforme à la volonté de Dieu.

C’est le Christ qui nous rassemble et nous envoie au large.

Lorsque nous avons décidé de commémorer le 500e anniversaire du boulet de canon qui a brisé la jambe et les rêves d’Inigo lors de la bataille de Pampelune, nous ne pouvions même pas imaginer que tant de nos propres rêves et projets seraient également mis en péril. Nous avons traversé 18 mois d’angoisses, de renoncements, de maladies, de deuils, de quarantaine… Qui aurait pu prévoir tout cela il y a deux ans ?

La pandémie a mis en évidence la fragilité de nos sociétés et des structures politiques qui gouvernent le monde. Elle a aggravé les causes des injustices qui génèrent tant de pauvretés, de migrations forcées, de violences, de guerres… Ne cédons pas à la tentation de fermer les yeux sur des réalités que nous avons perçues avec plus de clarté. Ne nous laissons pas berner par un faux « retour à la normale ».

En nous inspirant de la liturgie pascale, nous pouvons dire « bienheureux boulet » qui a permis à Ignace d’entamer un chemin de conversion. Sans ce boulet de canon, nous ne serions pas là aujourd’hui. Mais le boulet et la blessure ne sont pas tout : ils n’ont été que le déclencheur d’un chemin de conversion, un long processus par lequel Ignace s’est laissé transformer par le Seigneur et a fini par voir toutes choses nouvelles en Christ. Un processus de conversion qui, pour ceux qui y consentent, dure toute une vie. Une conversion qui nous engage à participer à la tâche complexe de transformation du monde, en contribuant à la réconciliation et à la justice qui permettent d’accéder à une vie digne pour tous les êtres humains.

Voici le défi qui se présente à chacun d’entre nous : comment mettre à profit ce que nous avons vécu, avec toutes les frustrations qui en ont résulté, pour avancer sur le chemin de la conversion ? Nous pouvons le faire en nous laissant inspirer par la foi qui nous anime, qui nous unit et qui nous a conduits jusqu’ici. Cette foi grâce à laquelle nous croyons que le Seigneur veut le meilleur pour nous-mêmes et pour ce monde qu’Il a tant aimé, au point de donner sa vie pour le libérer du péché, de l’injustice et de la mort.

Lorsque, avançant vers le large, la tempête atteint son point critique, nous réalisons ce que signifie confier au Seigneur le gouvernail de nos vies et de nos rêves pour que nous devenions des partenaires efficaces dans sa mission et participions à la construction d’un monde conforme à son dessein d’amour.

Cependant, il n’y a pas que la pandémie qui nous a secoués. La révélation des abus commis par des prêtres et des religieux nous choque et nous fait honte, surtout depuis la publication, ces dernières semaines, des conclusions de l’enquête de la CIASE (Commission indépendante pour les abus sexuels dans l’Eglise). Ce n’est pas seulement l’Église de France, mais l’Église universelle qui prend conscience de la souffrance infligée en son sein. Des hommes qui étaient appelés à être « des agneaux envoyés parmi les loups » se sont comportés comme des loups parmi les agneaux.

Il y a parmi nous, ici même, des personnes qui ont été abusées sexuellement ou spirituellement. Je salue de tout cœur leur présence. Je reconnais toutefois avec douleur que beaucoup d’autres ne peuvent pas être présentes, soit qu’elles ne sont déjà plus des nôtres, soit que leur souffrance est tellement insupportable que nous leur apparaissons infréquentables. Toutes ces personnes ont été abusées et trahies dans la confiance qu’elles nous accordaient. Je voudrais leur rendre hommage leur témoignant ma tristesse, ma honte et l’indignation que je ressens face à ce que des hommes d’Eglise, des jésuites en particulier, ont pu leur faire subir. Je demande sincèrement pardon pour toutes les fois où la Compagnie de Jésus n’a pas su reconnaître et arrêter ces prédateurs. Je demande pardon aux personnes qui ont souffert parce que nous n’avons pas cru à leur parole, à leur témoignage, lorsqu’elles ont eu le courage de nous dire la vérité.

Aujourd’hui, nous reconnaissons humblement que, c’est grâce à l’insistance de certaines personnes victimes qui n’ont jamais renoncé, mais qui ont continué à témoigner et à nous alerter, que nous progressons. Merci ! Vous nous aidez à avancer avec détermination vers la vérité du passé. Vous nous invitez à mettre toute notre énergie pour réparer l’Église et en faire un lieu sûr pour tous, en particulier pour les plus petits.

Cette crise des abus dans l’Église, comme la pandémie, aurait de quoi nous abattre. Mais nous implorons encore avec insistance le don de la foi qui nous conduit à rencontrer le Seigneur pour que, comme le boulet de canon qui a touché Ignace, notre espérance soit ravivée et notre foi redevienne créative, capable de surmonter le désespoir ou le découragement. Nous voulons nous engager dans des œuvres de réconciliation et de justice, mus uniquement par l’amour qui nous pousse à offrir nos vies pour que d’autres la reçoivent en abondance.

En tant qu’ignatiens, nous sommes appelés à vivre de la foi, sans chercher aucune forme de confort spirituel. Nous sommes appelés à vivre notre foi en nous mettant généreusement au service de la mission du Christ. Chacun des groupes, communautés, congrégations, mouvements… que nous formons est invité à discerner spirituellement, en commun, de quelle manière collaborer à cette mission.

La Compagnie de Jésus, quant à elle, a reçu de la part du Saint-Père la confirmation du discernement effectué pendant de nombreux mois, à la demande de la 36ème Congrégation Provinciale, par l’ensemble du corps apostolique formé par les jésuites et les partenaires dans la mission. Le pape François a confirmé et clarifié quatre préférences apostoliques pour la décennie 2019-2029 qui méritent d’être rappelées :

Montrer la voie vers Dieu à l’aide des Exercices Spirituels et du discernement.

Marcher avec les pauvres et les exclus du monde, ainsi qu’avec les personnes blessées dans leur dignité… en promouvant une mission de réconciliation et de justice.

Accompagner les jeunes dans la création d’un avenir porteur d’espérance.

Collaborer, avec la profondeur de l’Evangile, à la protection et au renouvellement de la Maison Commune.

Vous constatez que les défis sont énormes. Ils sont formulés de manière très active : montrer, marcher, accompagner, collaborer… Je suis très heureux de voir comment ces préférences apostoliques ont marqué cette rencontre, notamment à travers certains ateliers auxquels beaucoup d’entre vous ont participé. Cela m’assure qu’elles sont bien reçues et appliquées dans toute la Province EOF. Cela me montre à quel point les jésuites, les religieux et religieuses, les laïcs hommes et femmes, collaborent dans une mission partagée et progressent dans le travail en réseaux.

Dans cette assemblée, il y a quelques centaines de jésuites au milieu de milliers d’autres membres de la famille ignatienne, engagés dans la même mission du Christ qui est la mission de l’Église. Je vous encourage tous à poursuivre ce cheminement, en travaillant ensemble, en vous faisant confiance les uns aux autres, en vous corrigeant mutuellement lorsque cela est nécessaire, en mettant en commun vos talents et ressources respectifs. Grandissez dans votre engagement personnel, communautaire, global et institutionnel envers le monde, non pas de manière superficielle ou illusoire, ou encore en cherchant à vous affranchir du monde, mais bien au sein du monde concret, multiforme, réel dans lequel nous sommes insérés.

En particulier, nous n’oublions pas, en ce jour, notre frère Philippe Demeestère qui, avec deux autres personnes vit une grève de la faim pour sensibiliser la société à la situation des réfugiés à Calais.

Durant ces jours à Marseille, nous avons été certainement touchés par au moins deux dimensions : le sentiment d’appartenir à une famille ignatienne riche et heureuse dans sa diversité, et le renouvellement de la joie et de l’espérance que procure l’expérience de Pâques, même au milieu de grandes difficultés. Vous y avez goûté durant ces jours-ci ! Être ignatiens, c’est vivre, comme pécheurs pardonnés, la joie de l’Évangile, et être envoyés au large.

Je vous remercie pour toute l’énergie que j’ai reçue au cours de cette rencontre. J’en témoignerai à mon retour à Rome.

P. Arturo Sosa sj, Supérieur général de la Compagnie de Jésus

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